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Le monde de l’emploi et de la formation a grand besoin de se décloisonner - partie 1
C’est un message de libération qu’envoient les acteurs de la formation réunis par Références pour un tour de table autour des défis amenés par la digitalisation des métiers, la pénurie de compétences, le besoin de formation tout au long de la vie et les effets de la crise sanitaire sur le travail.
Plus que jamais, anticiper les évolutions, sortir des sentiers tout tracés et oser des orientations nouvelles apparaissent clés.
Trouver sa voie avant 25 ans, décrocher un diplôme (ou pas), évoluer dans son métier ou son secteur, envisager une reconversion si on perd son job : autant d’étapes particulièrement structurantes dans les carrières, avec peu ou pas de passerelle possible et anticipée.
Ces cloisonnements ne sont plus compatibles avec l’ambition — et la nécessité — de se former tout au long de la vie, pointent les participants au débat organisé par Références.
Celui-ci a réuni Michel Verstraeten, professeur de gestion des ressources humaines à la Solvay Brussels School of Economics & Management (ULB), Yves Magnan, directeur général Produits et Services au Forem, Marie-Anne Noël, directrice du département Stratégie et Innovation à l’IFAPME, Vincent Giroul, directeur de l’efp, et Stéphanie Peremans, Service and Product Portfolio Manager chez Cefora.
Tous le soulignent : la crise sanitaire et ses effets ont accéléré des tendances déjà à l’œuvre sur le marché du travail, comme la digitalisation des métiers ou les pénuries de compétences. Ils observent également des mouvements plus surprenants. Par exemple, une proportion croissante d’adultes inscrits en formation en alternance dans une optique de reconversion. « Je pense à ce bio-ingénieur de 33 ans qui se lance dans une formation en menuiserie », illustre Marie-Anne Noël. Chez Cefora, Stéphanie Peremans relève, quant à elle, une certaine difficulté à faire revenir les employés vers la formation. « Avant la Covid, nous en formions 75.000 par an. Désormais, nous sommes entre 40 et 50.000. Le retour au présentiel reste timide. »
Miser sur les méta-compétences
« La pandémie a amené les entreprises à accélérer la digitalisation dont on nous disait déjà, avant crise, qu’elle allait faire disparaître certains métiers et en transformer d’autres, note Michel Verstraeten. Les entreprises doivent s’y préparer, notamment en revenant sur leurs référentiels de compétences qui sont trop précis. Ce sera en effet grâce aux méta-compétences qu’il sera possible de redéployer les travailleurs. Une perspective qui s’applique aussi aux organismes de formation. »
Les métiers ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Certains vont s’effacer et être progressivement remplacés par d’autres, confirme Yves Magnan. « Nous devons accompagner la transition job-to-job et l’approche par méta-compétences est la bonne. Par sa rigueur et sa précision, un comptable peut, par exemple, travailler dans le secteur des biotechnologies en quête d’opérateurs de production pour autant qu’on parte de ses méta-compétences comme fondation à sa reconversion. Ce que nous devons faire, c’est anticiper et éviter que la personne ne soit en faillite de compétences. »
Le projet UpSkills Wallonia a dans ses objectifs de compléter les actions de transformation numérique des entreprises par un volet de développement de compétences. Dans le secteur de la construction, par exemple, l’arrivée des imprimantes 3D laisse augurer qu’à terme, les maisons seront bâties en faisant usage de tels équipements. Ce qui nécessite d’autres compétences. « Le Forem mène un travail de veille sur les évolutions des métiers, ce qui permet d’identifier les investissements à réaliser dans nos équipements afin que la formation soit au plus près des réalités de terrain. Des partenariats sont noués avec les entreprises si de tels investissements sont trop lourds ou non rentables. »
Dans un contexte d’évolution des métiers, l’enjeu consiste à apprendre à apprendre, précise Marie-Anne Noël. « Il s’agit de donner les clés pour que les individus se mettent eux-mêmes dans un processus d’apprentissage tout au long de la vie, au-delà des compétences techniques qu’ils ont acquises. À l’IFAPME, nous intégrons le développement de compétences numériques dans tous nos référentiels de formation. Bien que la jeune génération soit née avec un smartphone dans la main, il ne faut pas présupposer que tout jeune sait naturellement faire un usage professionnel du digital. Il s’agit d’un point d’attention dans le déploiement de méthodes pédagogiques à distance ou en mode hybride. »
Former pour accéder à l’emploi comporte une ambition citoyenne, appuie Vincent Giroul. « Quatre Belges sur dix sont à risque d’exclusion numérique. Or, dans nos vies, tout est devenu numérique. 90% des emplois actuels sont impactés, y compris la menuiserie, la coiffure, la boulangerie… Pour faciliter la transition, nous sommes entrés dans Digcomp, le cadre de référence européen des compétences numériques qui inclut plus de 250 nouveaux exemples de connaissances, compétences et comportements au sens large, dont l’esprit critique ou les enjeux de sécurité. Il éclaire sur la maturité numérique, tant de l’apprenant que du formateur. »
« La maîtrise du digital doit devenir une compétence transversale et elle se retrouve dans toute notre offre de formation dans une vision d’augmented learning, indique Stéphanie Peremans. Il s’agit d’abord de faire le point sur les besoins et de permettre à la personne de se positionner. Vient ensuite la formation à distance ou en présentiel. Puis, nous voyons avec l’apprenant comment utiliser ce qu’il a appris sur son lieu de travail. Le tout en variant les méthodes, incluant du webinar, du podcast, du microlearning… Avec un public cible de 500.000 employés aux besoins très variés, il n’existe pas une formule qui s’appliquerait à tout le monde. »
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Vivre une expérience d’apprentissage
« Le web profond, ou deep web, décrit la partie de la toile non indexée par les principaux moteurs de recherche généralistes et l’on dit souvent qu’on n’utilise que 5 à 6% du web existant, explique Michel Verstraeten qui opère une analogie avec la formation. Le grand enjeu consiste à ne pas se limiter à la formation ‘visible’, en salle, en séminaire ou en conférence. « De plus en plus d’enquêtes montrent qu’on n’y apprend pas assez, que la formation classique n’enthousiasme plus les participants et que le retour sur investissement y est faible. Par contre, apprendre sur le lieu de travail donner de meilleurs résultats. Il existe un vrai enjeu à compenser la baisse d’intérêt à l’égard de la formation classique. Les jeunes d’aujourd’hui, par exemple veulent vivre des expériences d’apprentissage. »
À ce titre, la formation en alternance possède de vrais atouts, lancent Marie-Anne Noël et Vincent Giroul. Elle reste malheureusement sous-valorisée comparée à ce qui existe dans les pays voisins. Ils rappellent toutefois que l’entreprise reste un lieu de production, avant d’être un lieu de formation. De plus, les contextes de travail à flux tendus où la pression est élevée n’est pas propice à l’intégration d'une démarche de formation on the job. « De plus en plus d’organisations mettent en place leur propre académie interne sur des compétences auxquelles on ne forme pas par ailleurs. Ce n’est pas une mauvaise piste, d’autant plus si on y associe une approche permettant de progresser dans la carrière », indique Yves Magnan.
La problématique rappelle toutefois celle de l’œuf et de la poule : est-ce l’entreprise qui ne forme pas assez ou les travailleurs qui n’ont pas l’envie ou la possibilité de se former ? Ce qui compte, c’est de créer l’appétence de part et d’autre dans une perspective de reskilling et d’upskilling, s’accordent à dire nos interlocuteurs. Yves Magnan partage une expérience en cours dans le secteur de l’aéronautique qui vise à créer des trajets de formation en co-construction avec les travailleurs qui se sentent alors parties prenantes.
Chez Cefora aussi, on partage cette préoccupation de rendre la formation toujours plus ancrée au terrain. « Nous animons de plus en plus de partages de connaissances ou d’expertises entre entreprises d’un même secteur ou sur une même thématique. Mais est-ce encore de la formation ? On entre plus dans le peer-to-peer learning qui est une forme d’apprentissage à développer. Plutôt que de ‘déverser’ des savoirs, la démarche se fonde sur l’idée que l’apprenant en apporte également. »
De Christophe Lo Giudice